Que ton grand front, beau Chasseral

Au seuil du pays helvétique

Révèle au drapeau fédéral

Ton histoire géologique!

Parle-nous des anciens âges,

Oû de l’homme fuyant les rêts,

Les ours et les boeufs sauvages

Seuls parcouraient tes forêts.

Au bord des lacs aux flots d’azur

Qui baignent tes pieds rocheux,

Le vieux Celte de sang pur

Gardait le sol de nos aïeux. 

Tu vis le glacier recouvrir la plaine

Depuis les hautes cimes du Mont-Blanc,

Et déposer à tes pieds la moraine

Que cultive aujourd’hui le paysan.

Avant que les glaciers n’approchèrent

Tu laissas les flots déchirer tes flancs,

Et sous tes crêts les eaux modelèrent

Des combes et des ruz au cours des ans.

Qu’elle est incroyable ta naissance!

Qui te vit surgir aux jours d’orage,

En vaste voussoir, par la puissance

Que recélait le sol d’une plage?

Sous le climat des tropiques,

Combien, gisant silencieux

Dans les mers molassiques,

Tu nous parais mystérieux!

Oû étais-tu quand l’Océan

Brisait les tapis de coraux,

Pour faire sortir du néant

Ta masse de rocs littoraux?

Ainsi, des anciens rivages,

Tu me révèles les contours;

Je vois dans tes coquillages

De Faune les premiers amours.

Louis Rollier, avril 1901