Archives historiques de la région de Bienne, du Seeland et du Jura bernois

Des procès de sorcellerie à Bienne et environs

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1. Le procès de sorcellerie à Bienne, en 1757

Vers le milieu du 18e siècle, un climat de peur régnait à Evilard, un village qui comptait alors à peine 150 habitants. Des pertes de bétail et des maladies avaient causé, parmi les habitants, une charge de souffrances extraordinaire. On comprend que la population ait cherché à trouver une explication à tant de malheurs mais il paraît que l’on visait une solution simple. Durant des années, le soupçon que l’épouse de Georges Villars était responsable pour toutes les calamités prit forme. Déjà avant le procès mentionné par C.A. Bloesch, le consistoire fut confronté plusieurs fois avec des conflits causés par ce soupçon. Par exemple, deux femmes qui venaient d’être guéries d’une maladie avaient réagi par des cris, lorsque Madame Villars était entrée à l’église. Le consistoire regretta qu’il soit impossible de «libérer ces personnes de leur chimère contre cette femme» et décida d’exclure les deux femmes de la communion. Peu de temps après, selon Werner Bourquin, Mme Villars aurait été dénoncée pour sorcellerie. Le Conseil de Bienne créa une commission pour examiner ce cas, qui réunit les habitants d’Evilard. Lors de cette assemblée, 29 témoins prirent la parole, et leurs accusations ont rempli 43 pages folio du procès-verbal. On reprocha à Mme Villars d’avoir commencé ses activités maléfiques déjà en 1747. A plusieurs reprises, elle aurait empoisonné le bétail et causé des maladies parmi de nombreux habitants du village. Ces reproches furent complétés par les témoignages d’un médicastre de Bellelay et d’un capucin de Soleure. Selon eux, il leur avait été impossible de venir en aide, puisque le bétail et les gens malades avaient été touchés par une sorcière. Suite à ces témoignages, la commission interrogea l’inculpée, et les réponses de Mme Villars remplirent 25 pages du protocole. Les réponses de l’accusée et l’analyse des accusations permettaient au médecin de ville un jugement clair. La peur et le chagrin, déclara-t-il, avaient provoqué une folie (une chimère) parmi les habitants d’Evilard. L’accusée, déclarait le docteur Scholl, serait dix fois plus raisonnable que tous ses accusateurs et inquisiteurs. Mme Villars fut acquitée de l’accusation de sorcellerie, mais par souci de rétablir la paix dans le village, la commission décida de la bannir à vie du territoire de la métairie de Bienne.

1.1 Les derniers procès de sorcellerie en Europe Centrale

Les idées des „Lumières“ ne triomphèrent que vers la fin du 18e siècle. Or, bien avant déjà, la raison humaine avait fait reculer la croyance au diable. Ainsi, vers le milieu du siècle, les procès de sorcellerie disparurent pratiquement d’Europe Centrale. La situation ne resta problématique qu’au Sud de l’Allemagne et dans les Alpes, où quelques procès aboutirent à des condamnations à mort. Ainsi, la peine capitale contre Anna Göldi, en 1782, ne fut que le dernier exemple de toute une série de procès similaires sur le territoire suisse. En 1701, six personnes furent exécutées pour sorcellerie à Wasterkingen, dans la région de Zurich. En 1721, il y eut des condamnations à mort, basées sur des accusations similaires, au Tessin et, dans le canton de Zoug, en 1737, un procès pour sorcellerie coûta la vie à six condamnés. Le procès de sorcellerie de Bienne fait donc partie des derniers procès de ce genre en Europe Centrale. Ce fait témoigne d’une situation juridique problématique, bien que l’accusée ait été acquittée. Néanmoins, il est remarquable que le docteur Scholl, contrairement à l’expert médical dans le cas d’Anna Göldi, était vraiment indépendant. Grâce à une analyse objective des faits, le médecin de ville put tirer une conclusion claire, et il n’eut pas peur de la dire «tout net». 1.2 Des causes possibles à ces accusations Vers le milieu du 18e siècle, la petite période glaciaire tendait à sa fin. Entre 1748 et 1757, la plaine était couverte de neige plus de deux mois par année, et pendant cette periode, le lac de Bienne gela deux fois, en 1748 et en 1755. Mais ce fut sûrement la superstition, profondément enracinée dans la population, qui joua le rôle décisif. Jusqu’au 19e siècle, beaucoup de gens s’expliquaient leurs malheurs par les pouvoirs des démons et du diable. Il n’est pas étonnant qu’un frère mineur, capucin de Soleure, ait pris la parole lors du dernier procès de sorcellerie à Bienne. Vers 1850 encore, des paysans réformés du Seeland invitaient les frères de Soleure pour faire bénir leurs fermes et faire chasser les mauvais esprits.

2. La naissance de la croyance aux sorcières

La croyance aux sorcières comme théorie cohérente prit forme vers la fin du Moyen Âge.Autour de l’année 1400, le nouvel épouvantail de la secte des sorcières naquit du spectre de „l’hérétique vénérant le diable“ et de celui du „juif empoisonnant les fontaines“. De vieilles croyances furent assemblées pour créer une nouvelle unité: et bientôt, les premiers textes ecclésiastiques expliquèrent l’union sexuelle des sorcières avec les démons, le vol au sabbat des sorcières et la magie noire inspirée par le diable. Ce n’est pas par hasard que dans les illustrations du XVe siècle, on associait souvent la danse, les repas opulents et la sexualité à la sorcellerie. Dans l’évolution de la civilisation, une vie du corps incontrôlée corporalité était, pour la plupart de l’élite, une qualité féminine qu’il fallait discipliner.

2.1 Le sabbat des sorcières sur l`Ile St-Pierre

A l’origine,la légende du grand sabbat des sorcièressur le Blocksberg, la nuit de la Walpurgis,se basa seulement sur le témoignage d’une femme qui avait „avoué“, sous la torture, s’y être rendue, la veille du premier mai, pour participer à un grand rassemblement de sorcières. En réalité, lors des nombreux procès de sorcellerie, les accusés indiquaient temps et lieux les plus différents concernant le sabbat des sorcières. Selon les témoignages de beaucoup de femmes interrogées à Nidau, le sabbat des sorcières s’était déroulé sur l’Ile St-Pierre, à proximité du lieu où, plus tard, on construisit le pavillon. En 1795, Sigismond Wagner déclara: «Pour ces bacchanales nocturnes, le diable, apparu sous la forme d’un homme vêtu en vert, aurait recruté ses adeptes, parmi les hommes et les femmes, mais surtout parmi les jeunes paysannes, dans tout le comté de Nidau. Lors du sabbat, il leur aurait servi différents repas noirs et très chauds, puis, jouant du violon, il les aurait invité à danser.» Toutefois, Wagner insinua que derrière le masque du diable, on aurait probablement trouvé un frère du prieuré de l’Ile. Très longtemps, les frères sur l’Ile Saint-Pierre furent bien connus pour leur mode de vie négligent.

3. L`apogée des procès de sorcières et leur arrière-fond

La plupart des procès de sorcellerie de notre région eûrent lieu entre 1550 et la fin du 17e siècle. Pendant la même période, la croyance aux sorcières atteignit son apogée dans toute l’Europe. Dans les territoires catholiques et réformés, on exécuta environ 60 000 personnes pour sorcellerie, la plupart des victimes étant des femmes. En Suisse, le nombre des exécutés s’éleva à 4000. Nulle part en Europe on exécuta autant de personnes par habitant. Les historiens expliquent cet excès de zèle surtout par le fait que, lors des procès de sorcellerie en Suisse, les directives en vigueur dans le Saint Empire romain germanique, pour la juridiction criminelle (Carolina, de 1532), ne furent guère respectées. Très longtemps, un seul témoignage crédible suffisait à la condamnation pour sorcellerie. Il n’est pas étonnant que plus de la moitié des procès de sorcellerie finirent par une condamnation à mort. Il était alors assez facile de se débarrasser de personnes impopulaires. Le fait que les tribunaux compétents se trouvaient très proches de la population favorisa le grand nombre de procès de ce genre. Selon la plupart des historiens, l`apogée des procès de sorcellerie dès le milieu du 16e siècle, s’explique par le début de la «petite période glaciaire»: en Europe Centrale, le climat plus froid provoquait des extrêmes météorologiques que les gens attribuaient aux activités maléfiques des sorcières et, surtout, l’approvisionnement alimentaire de la population diminuait à cause des moissons souvent plus mauvaises. Ainsi, des maladies se propagèrent plus facilement.

3.1 Condamnations à mort, à Bienne et aux environs

Ce sont presque exclusivement des femmes qui, dans notre région, furent condamnées pour sorcellerie. La plupart finirent sur le bûcher. Dans son rapport sur les procès de sorcières à Bienne, Schmid-Lohner cite ainsi: 8 exécutions sur le bûcher, pour l’an 1590, 5 pour ‚an 1594, et 12 pour l’année 1595. Concernant l’année 1609, 3 exécutions sur le bûcher furent répertoriées. Cependant, toutes les condamnations à mort ne furent pas exécutées par le bûcher: c’est ce que désigne le terme de „Hexenglungge“ (flaque des sorcières). Ainsi, au débouché de la Suze dans le lac, se trouvait un emplacement profond, où très certainement des sorcières furent noyées. En tout cas, la procédure de l’année 1603 prévoyait également la mort par la noyade, pour les ensorcellements. Dans la littérature, on mentionne pour Nidau surtout des condamnations de femmes, au bûcher, durant l’an 1609 (12 personnes) et 1649 (8 personnes). En 1649, exceptionellement, c’est un homme qui fut accusé de sorcellerie; son exécution se fit par l’épée. Pour Aarberg, Bourquin mentionne durant la période 1637-1652 10 condamnations de femmes au bûcher. Et cette chasse aux sorcières souffla très vigoureusement sur La Neuveville, entre 1605 et 1668, où 52 femmes furent brûlées. Mais le paroxysme fut atteint sur la montagne de Diesse: dans les villages de Nods, Lamboing, Diesse, et Prêles, «c’est presque chaque famille qui fut touchée par cette ‚fièvre des sorcières’»(Bourquin). Entre 1611 et 1667, 55 femmes et 11 hommes furent ainsi brûlés sur ce lieu nommé «Les Places». D’autres condamnations de sorcières, au bûcher, proviennent aussi de St-Imier. Le déroulement typique d`un procès de sorcellerie à Bienne C’est par un exemple qui nous vient de l’an 1590 que Schmid-Lohner décrit comment se déroulait habituellement un procès de sorcellerie à Bienne. Le 17 juin, une femme soupçonnée, de Boujean, fut amenée à Bienne, escortée par l’huissier de ville et quelques vignerons. Le 22 juin, elle fut conduite dans la tour, et le long de ce passage, accompagnée par le chancelier de la ville, par le médecin de la cité, et par les deux huissiers. Le jour suivant, d’autres femmes soupçonnées étaient amenées, et de là, toutes les suspectes emmenées dans une tour beaucoup plus sûre. Le 24 juin, ces femmes furent interrogées dans la tour, et en même temps, un charron avait reçu l’ordre d’installer des échelles, en prévision de l’execution des accusées. Le 9 juillet, le bourreau à Porrentruy, fut informé qu’il serait appelé à Bienne ces temps prochains. Mais, pour conduire à des aveux, on employa aussi la torture dans ces procédés du tribunal. En règle générale, on appliquait le supplice de l’étirement des membres, par lequel les accusés, ayant les mains attachées dans le dos, étaient hissés, de telle sorte que les articulations des épaules se disloquent. Afin que les prisonnières puissent être torturées le plus longtemps possible, il avait été demandé au chirurgien de rétablir les membres après la torture et de ligaturer les blessures. A peine trois semaines plus tard, les conseillers de la ville se rencontrèrent dans une réunion afin d’élucider plusieurs questions concernant les accusées. Le dimanche suivant, qui était le 12 juillet, on vit les aides-prédicateurs venir de Péry et d’Orvin jusqu’à Bienne dans le but de parler à la conscience des accusées. Le lendemain, lundi, on amenait une autre suspecte. Cependant, le procès touchait à sa fin. Messieurs les Conseillers de la cité passèrent la nuit du 13 au 14 juillet dans la tour, avec les aides-prédicateurs de Péry; par là, le prédicateur recevait très certainement mission de préparer ces pauvres femmes à leur dernier et terrible chemin. Lors de l’annonce du jugement, 24 membres du Conseil étaient présents, en plus des aides-prédicateurs et d’huissiers; ils prirent un repas en commun après avoir fait leur oeuvre. On envoya les huissiers faire connaître dans la cité, les condamnations à mort, et l’on donna aux condamnées la communion. C’est ensuite que les femmes condamnées furent conduites sur le lieu d’execution, par 16 hallebardiers, accompagnés du bourreau et de deux aides. Les charrons et les forgerons avaient déjà enfoncé les poteaux et en avaient fixé les chaînes. Entasser le bois provenant de Boujean fut la tâche des aides du bourreau. On attacha alors un petit sac de poudre au cou des condamnées, afin d’y voir un adoucissement de la sentence. Finalement les femmes durent monter par une échelle, sur le bûcher, pour être attachées aux poteaux par les aides. Dès que les flammes atteignaient le petit sac de poudre, celui-ci explosait, ce qui accélérait grandement le passage dans la mort. Une fois le feu éteint, l’équarrisseur devait rechercher dans les cendres, les chaînes avec lesquelles les condamnées avaient été attachées aux poteaux. Après l’exécution, on acheva le règlement des questions matérielles. Bien qu’on s’acquittait très généreusement de toutes les tâches liées aux procès de sorcellerie, de tels procès apportaient souvent un gain à la cité. Tous les biens des condamnées passaient aux mains de la cité. Aussi bien l’inventaire que la saisie de ces biens étaient la tâche du receveur du Prince-évèque.

«Sara lächelt» – une contribution littéraire à ce thème

Lorsque, vers 1400, apparut le nouvel épouvantail de la secte des sorcières, la mise en oeuvre de préjugés antisémites était manifeste. Ce n’était pas un hasard, si l’on désignait ce rapprochement entre «sorcière» et ces mots de «synagogue» et «sabbat». Au siècle des Lumières, on espérait pouvoir en terminer une fois pour toutes avec ce meurtre collectif, basé sur des clichés d’ennemis, tout faits, délirants, seul l’Holocauste nous a appris que l’europe centrale pouvait faire ressurgir de telles catastrophes. «Sarah lächelt», de Rudolf Wehren, est ainsi une oeuvre littéraire, réussie, de ces deux catastrophes. Dans cette histoire, l’auteur rapproche la vie de Sara Tschafischer, une femme de St Niklaus près de Belmont/Bellmund condamnée pour sorcellerie, de celle d’Alfred Israel, qui avait réussi à s’enfuir du ghetto d’Amsterdam, vers la Suisse. Ce rapport que fait Wehren avec différentes histoires et à diverses époques, convainct et il réussit également à tisser un lien avec le présent.

Sources:

Archives municipales, CLXXX / IX / 40/ I. Collection des arts visuels de la ville de Bienne.

W. Behringer, Hexen, Verlag C. H. Beck, München, 2000.

M. Bourquin, Biel Bienne, VDB Verlag Bern, 1980.

W. Bourquin, Hexenverbrennungen in Biel und Umgebung, SV, 28. 4. 1961.

W. Bourquin, Stadtarzt Dr. Friedrich Salomon Scholl, BT, 30. 6. 1961.

W. Hauser, Der Justizmord an Anna Göldi, Limmat Verlag, 2007.

U. Karpf, Damals, als die Scheiterhaufen brannten, BT, 9. 10. 1986.

E. Schmid-Lohner, Hexenprozesse in Biel, Buchdruckerei K. Ritter, 1951.

S. Wagner, Die Peters-Insel im Bieler-See, G. Lory und C. Rheiner, Bern, 1814.

R. Wehren, Sara lächelt, Privatdruck, Biel 1993.

J. Wyss, Die Bieler Fluren und ihre Namen, Bieler Jahrbuch 1927.



Auteur: Antonia Jordi, Christoph Lörtscher / Source: Diverses 2015
Format: 2011-06-04 00:00:00