Archives historiques de la région de Bienne, du Seeland et du Jura bernois

Des coutumes de Noël du Seeland au temps de jadis

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Une ferme isolée au toit de chaume tombant très bas, enfoncée sous l’épais manteau de neige, un domaine agricole aux arbres dénudés, tout autour l’étendue blanche, immense, d’où surgissent quelques buissons de saules aux formes magnifiques; dans le lointain, une haute forêt sombre et enneigée, ainsi étaient les environs proches et les lointains du hameau en hiver,dont je vais vous raconter un peu de son passé.

   Dans la plaine, autrefois, il y avait encore des hivers riches en neige; que l’on pense: des mois durant, de l’aube au crépuscule, heures après heures, le silence, blanc, entourant la maison. L’ampleur de la solitude doit avoir agi lourdement et trituré mon arrière-arrière-grand-mère.  Personne à la maison imaginait combien le calme de l’hiver lui pesait.

N’en parlant pas, elle en souffrait avec calme et soumission. C’est de ce calme que la richesse magnifique de son âme pourrait bien avoir grandi.

Je rends, au fur et à mesure, quelques unes de ses observations durant les journées de Noël:  
            
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« L’hiver est certes long et calme; il faut y pénétrer; il a aussi son bon côté. Dans le mois de la naissance de Notre seigneur et du Royaume divin, apparaissent alors bien des messages et miracles. Beaucoup de gens y voient peu car leurs yeux sont clos. Mais celui qui a des yeux qui voient, celui-ci voit. Pas ce qui est visible et touchable, pas non plus ce que l’on peut saisir, fait de notre vie…

Dans les semaines de l’Avent, on ne doit manger ni fruits verts, ni pommes, ni noix, sinon on verrait se former un mauvais mal sur le visage, ou encore des verrues aux mains.

Juste autour de la Sainte nuit, il ne faut pas tisser durant le jour. Les miracles de Noël se produisent dans l’obscurité. Dieu touche nos cœurs quand les mains se reposent et que la bouche se tait.

   Le soir de Noël même, il ne faut pas toucher de rouet, ni compter les fils de lin dans les coffres car, dans la douzième heure, les anges se saisissent incognito du lin et le bénissent. Du fil béni rend le lin résistant.

   Dans les semaines saintes, il faut donner de l’engrais à tous les arbres fruitiers, frapper les troncs avec des baguettes, afin que la nouvelle année soit féconde et bénie, qu’elle donne beau coup de fruits. Dès les débuts du mois du Christ (en 1788), après une longue période de sécheresse, sans pluie ni neige, un froid  extraordinairement rigoureux s’installa, avec des quantités de neige, si bien que beaucoup de misères, de privations et d’infortune apparurent, tout près et au loin, selon des dépêches de journaux, qui s’en plaignaient. Bien des gens et du bétail moururent du froid, qui fut même plus rigoureux que celui de 1709.

   Des neiges profondes, quantités de loups, des glissements partis de la montagne, firent alors de gros dommages, exceptionnels même, car les rivières et les ruisseaux gelés étaient nombreux, que ce fut à Berne ou autres lieux, surtout dans le pays de Vaud, la plupart des moulins étaient inutilisables, les deux de Suberg aussi, qui durent rester immobiles 4 jours durant.   Presque partout, les routes sont impraticables, par les quantités extraordinaires de neige tom- bées, dans le canton et au loin, créant de dangereux obstacles aux voyageurs. Et tous les postillons arrivèrent plus tard qu’à l’accoutumée.

   L’Autorité suprême et beaucoup de riches familles bernoises prodiguaient aux pauvres en quantités. Comme le bailli Brunner, d’Aarberg, qui envoya de son argent personnel, pour qu’il soit réparti entre les pauvres dans ce but. Pendant ce terrible froid, le prédicateur tint alors le prêche du dimanche, contre usage et tradition, dans les salles de classes chauffées, par égard aux quelques personnes présentes. En raison de ces conditions climatiques inhabituelles, extraordinaires, le Haut conseil des affaires sanitaires fit imprimer, le dimanche 18 déc., des prescriptions à lire en chaire, à haute voix.

« Mises en garde et conseils à suivre dans l’attitude à tenir vis-à-vis des gens souffrant de gelures, afin de pourvoir à leur guérison »

On interdit dans les pièces d’habitation les morceaux de braises, par lesquelles des gens ici et là étouffaient en raison des vapeurs du charbon.

   Enfin le temps doux refit son apparition.

23 déc.:   pour tous les oiseaux affamés, la table de Noël mise et une gerbe de fruits disposée. «Que des biens passagers, mais il y a aussi les périodes malignes ! »

24 déc.:   nettoyé toutes les lampes à huile et les mèches; coupées, fraîchement remplies, afin que la lumière brûle bien au soir divin. L’obscurité règne la journée entière. Les pièces balayées et parsemées de sable nouveau. Les lits venant d’être faits.

24 déc.:   huit petites commerçantes sont déjà venues, portant des petits pains, la crème et des «Grittibenz»; parmi elles, la pauvre Maria, de la Schmiedgasse et Barbara Roth s’occupant  du bois. Puisse Dieu les protéger ! Aucune n’a demeure et toit sur la tête !

24 déc. :   Johann a aéré les abeilles et remué l’essaim afin que vie et essor persistent dans les ruches et que les abeilles ne se brisent pas.

24 déc.:   de chaque sac en tissus, extrait une poignée d’aliments secs, parmi toutes les bonnes choses, dons de Dieu: pruneaux, cerises, pommes, poires et haricots, tous rendus plus mous afin de préparer le repas de Noël en commun. Rien n’est oublié ! Afin qu’il y ait de tout dans la nouvelle année, à nouveau. Aussi un bon brési de viande de porc et du lard ! Dieu bénisse tous ces dons et fasse l’année féconde et prospère l’été prochain !

24 déc. :  assis à la veillée divine autour de la lumière, dans la prière et les chants. Ursli, notre petit garçon, s’est réjoui des pommes et des noix, des tranches de gâteaux et pains d’épices. Si la journée fut sombre et sans lumière, du soir de Noël monta la paix. Des étoiles étaient au firmament. Et d’un pas léger nous marchons sur la terre; nous avançant en priant Dieu qu’il protège notre petit garçon et selon sa volonté, qu’il lui donne un cœur vertueux, le sens de la piété, lui permette de grandir sain et sauf, lui donne bonne santé, lui pour son honneur, nous pour notre joie.

 

   Grand et saint Dieu omniprésent,

   Toi qui demeure dans la bienheureuse sainteté,

   Et ne demande en rien l’aide des hommes,

   Ni n’a besoin d’aucune façon du secours des cieux,

   Tu as voulu cependant faire grandir les créatures

   Dont nous faisons partie

   Afin que nous y reconnaissions ta volonté et puissions

   Te servir,

    Ô Seigneur, nous avons été créés par tes mains.

 

  

   Johann a alors lu la naissance du Christ divin et a construit une crèche au garçonnet. Dans la cheminée brûle le bois de Noël (dont on conservait soigneusement les cendres et, en été, quand se produisait un violent orage, on en déposait à la gouttière du toit, au nom de la Trinité.  On protégeait ainsi la nappe de la table où se savourait le repas de Noël, et on l’étalait lors des terribles grondements de tonnerre, en forme de croix, sous la jonction du toit – l’ensemble devant pouvoir éloigner les chutes de grêle)

   Maintenant nous avons rempli de sel douze bulbes d’oignons. L’année sera donc pluvieuse (chaque enveloppe représentant un mois).

Dieu protège les champs et le sol, les gens et les animaux. Je veux y trouver consolation: aussi longtemps que la terre sera, ne cesseront les semences et récoltes, le gel et les chaleurs, les étés et les hivers, le jour et la nuit.

 

 

 A la douzième heure, au milieu de la Sainte nuit, mis la table à tous les présents pour le repas de Noël. Personne qui ait pénétré et soit sorti de cette maison ne doit en franchir ensuite le seuil d’un pas léger ayant encore faim ou soif… (Autrefois, cette coutume était très répandue en bien des lieux. On racontait que, durant la nuit divine, les âmes des personnes décédées revenaient une fois dans les demeures des vivants, qu’au moment où sonnait l’heure de minuit, tous les animaux se mettaient à parler dans un langage humain, se plaignaient alors des coups reçus et des injustices subies)

C’est maintenant le temps de nous allonger et recommandons au Tout-puissant la maison et la ferme, les biens et avoirs.

J’ouvris le livre des Psaumes, à peu près. On n’en comptera plus beaucoup de jours que j’aurai encore à exister. (du nombre de versets, on croyait y découvrir le nombre d’années encore à vivre)

26 déc. :  jour de la St Stéphane:  avons aujourd’hui confié les nouvelles tâches aux gens de maison. Barbara Roth, la jeune fille, souhaite recevoir jusqu’à la Chandeleur deux nouvelles chemises, une paire de chaussures. Ce sera à réaliser; nous l’avons promis. Le cordonnier Durs se retrouve bien harcelé:  le cuir à semelles ne manquera pas, de nouveau.

Barbara n’a pas touché à son salaire de toute une année. C’est une jeune fille économe, vertueuse et honnête. Dieu bénisse sa vie et le travail de ses mains. Ueli Moser, le valet, veut prendre de l’argent comptant et faire du service armé dans les troupes des Pays-Bas. Il veut nous quitter à Nouvel-An et on ne peut le retenir; le même qui, il y a quelque temps, n’alla pas dans les églises où le repas de Noël du Seigneur était partagé. Il fut averti et puni par les juges du chœur à verser 2 livres. Il avait eu beaucoup de traites manquantes l’année passée, (car il ne pouvait pas traire); Dieu le protège en terre étrangère de ses mauvaises actions et l’accompagne en chemin.

 A sa place, avons pris Nicolas Mühlheim, le fils du forgeron, bien que de foi anabaptiste, cependant bon garçon correct.

L’année tire doucement à sa fin, Dieu veuille, dans la nouvelle, que nous puissions continuer d’exister.»     

 

 



Auteur: Frieda Schmied-Marti / Source: Frieda Schmied-Marti 1960